Voici les titres de quelques livres que j’ai lus (ou simplement pesés) avec bonheur. Je me permets de les citer ici avec l’espoir que peut-être je rendrai ainsi possible d’autres heureuses rencontres. Cette liste ne se prétend pas exhaustive. Que ceux donc que j’ai oublié me pardonnent (ou me remercient).


POÉSIE

-      Une saison en enfer d’Arthur Rimbaud
Un poète capable de rester poète alors même qu’il a été érigé comme le poète absolu. C’est vivant et plein d’énergie. C’est de la pensée à l’état pure. C’est donc bien l’exemple à suivre lorsque l’on veut s’engager dans une aventure poétique. Entre autres on comprend à travers ce texte le lien profond qui existe entre Dieu et Satan. Entre celui qu’on n’est pas et celui qu’on est.

-      La Doctrine de l’Amour de Germain Nouveau
Un livre de poésie qu’on peut lire simplement. Un poète donc qui échappe à l’écueil du littéraire. J’entends ici par poésie littéraire la poésie savante, culturelle dans le mauvais sens du terme. Germain Nouveau nous ouvre son cœur simplement, sans prétention aucune et c’est pourquoi il parvient à dire les choses avec beauté. Certains disent de lui qu’il a été « un pitre ». Je leur rétorque donc que je serais fier de l’égaler dans sa pitrerie.

-      Poésies 1 et 2 de Lautréamont
La philosophie de la poésie est supérieure à la poésie. Oui, penser la poésie cela peut mener aussi à la poésie. Peut même s’avérer être la seule façon d’écrire de la poésie. Le poète, s’il veut avoir une chance de s’en prendre au monde, doit s’attaquer au savoir que le monde construit sur la poésie pour se protéger de ses  investigations.

-      Écrits de Jacques Rigaut
Ça se lit et se relit dans tous les sens. C’est acide. C’est courageux. Ça donne envie de persister dans son combat contre les bons sentiments. Il a joué avec son cœur et ce qu’il en a tiré est tout simplement poétique. On ne peut donc qu’admirer son désintéressement.

-      Poèmes de Robert Walser
Ça se lit calmement. C’est qu’on sent à lire ces textes, un auteur qui a voyagé à travers lui-même. Et qui en a tiré une maîtrise poétique de sa langue. À chacun donc d’y trouver sa perle et de se lier ainsi avec lui-même, pour un moment d’existence sereine : conquise.

-      Le Contre-Ciel de René Daumal
Il y a un Mot et celui qui trouvera ce Mot deviendra le poète absolu. De la poésie qui pense. De la poésie qui tente de s’expliquer à elle-même. Un poète qui sait poser les vraies questions. Et qui sait que ces questions sont à elles-mêmes leurs vraies réponses. Oui, il existe un savoir nécessaire et une culture constructive. Daumal nous prouve qu’on peut écrire une poésie intellectuelle qui ne s’auto-détruise pas. Qui reste donc de la poésie.

-      La nuit remue d’Henri Michaux
Oui, tout est bien simplement question de santé. Oui, être en bonne santé, c’est à coup sûr être de mauvais goût. Il y a dans ce texte une sorte de folie sage. Un poète donc capable de chevaucher avec habileté le cheval fou qu’est l’aventure poétique. Beaucoup de raison donc mais cela ne porte nullement préjudice à la nécessaire folie où prend sa source toute véritable expérience poétique.

-      Van Gogh le suicidé de la société d’Antonin Artaud
Oui, c’est bien pour ne pas trahir une certaine idée de l’honneur humain que l’on consent à devenir fou. Oui, ce qui donne naissance au fou, c’est bien une partouze sociale. Et cela alors même que ceux qui sont les acteurs de ces mises à mort collective sont ceux-la mêmes qui défilent devant les tableaux de Van Gogh.

-      Formulaire pour un urbanisme nouveau d’Ivan Chtcheglov
Il faut dériver dans la ville et ainsi recréer la ville. C’est qu’il y a une façon d’habiter la ville poétiquement. Et recréer ainsi la ville en retrouvant la magie propre à son espace, pratiquer donc une sorte d’urbanisme poétique, c’est peut-être bien là un acte hautement politique. Les poètes sont là pour nous rappeler à cette nécessité première de penser autrement la notion du politique. C’est que le poète est aussi doté d’un esprit pratique.

-     La nostalgie sexuelle de Stanislas Rodanski
Rodanski a choisi de refuser l’aide du discours extérieur et c’est ce qui donne à son discours sa dynamique. Mais du même coup il nous livre un texte obscur et cette obscurité nuit à l’éclaircissement de sa pensée. C’est qu’il donne l’impression de ne pas tout dire, de tourner autour des choses sans se donner le droit d’en parler directement. Impression donc au final qu’il renonce à délivrer sa vérité.

-      Derrière son double de Jean-Pierre Duprey
Je me suis toujours contenté de peser ce livre. C’est qu’il ne m’est jamais apparu qu’« hautement » littéraire. Et pourtant je conçois pour son auteur une grande sympathie. Il n’est pas donné à tout le monde de pisser sur la tombe du soldat inconnu. Jean-Pierre Duprey disait qu’il était « allergique » à cette planète. En lisant sa vie on comprend que ce sentiment n’avait rien de littéraire.

-      Œuvres de Francis Giauque
Des textes simples qui disent des choses vraies sur la réalité de la maladie mentale. Des choses que les gens préfèrent taire parce qu’ils auraient honte d’avouer aux autres que ce sont là leurs véritables sentiments. Mais il y a aussi ceux qui n’osent même pas s’avouer à eux-mêmes de telles choses. Oui, la poésie est bien faite pour dire tout cela.

-      Papiers collés de Georges Perros
Perros travaille à tordre la langue à lui faire dire ce qu’elle voudrait nous faire taire. On sent en le lisant à quel point son écriture est nécessaire. À quel point elle est celle d’un homme qui secoue son cœur. C’est donc bien qu’il ne se contente pas d’être un homme de lettres. C’est qu’il s’agit de poésie et non d’un quelconque livre sur d’autres livres.

SCIENCES HUMAINES

-      Combat pour l’individu de Georges Palante
Ce livre décrit magnifiquement tous les procédés que le groupe utilise pour mettre à mort un individu. Pour détruire socialement un être humain. Et faire ainsi qu’il n’est plus que le choix entre se tuer ou perdre la raison. Le seul combat qui vaille d'être mené, c’est donc celui de l’individu contre le groupe. Et on n’est jamais individualiste que par sensibilité.

-      Le Tractatus logico-philosophicus de Ludwig Wittgenstein
Je n’ai lu que quelques passages de ce livre. Par contre j’ai lu des dizaines de livres sur ce livre. Je me permets d’en parler pourtant. Parce qu’il me semble que malgré tout j’ai lu ce livre et compris par cette sorte de lecture-non-lecture que le problème essentiel de la logique est le problème du mot salvateur : trouver le mot qui permettra de fonder une physique capable de briser le mur du langage.

-      Le rituel du serpent d’Aby Warburg
Aby Warburg a donné cette conférence alors qu’il était interné dans une clinique psychiatrique pour troubles mentaux. Il y raconte un voyage en Amérique et son expérience de certaines cérémonies religieuses organisées par les indiens : on y manipulait notamment des serpents à sonnettes et cela pour faire venir la pluie nécessaire aux récoltes. Cette relation magique a la nature dont nous avons cru avoir à nous défaire ne nous manque-elle pas cruellement aujourd’hui ?

-      Histoire de la folie à l’âge classique de Michel Foucault
La maladie mentale est une construction culturelle. Les fous pourraient donc bien être des victimes du discours que le monde construit sur la folie. Et c’est pourquoi la folie, ça n’est pas simplement de la maladie mentale. Oui, il semble bien qu’il soit possible d’être positivement fou. Et cela en luttant contre le discours sur la folie.

-      Critique et clinique de Gilles Deleuze
La psychose se construit dans un rapport spécifique aux mots. Seule la création d’un procédé linguistique peut permettre à ceux qui font l’expérience de la folie d’en sortir. Ils parviennent en effet ainsi à créer dans la langue une sorte de seconde langue. Deleuze cite ici l’exemple de Raymond Roussel, Jean-Pierre Brisset et Louis Wolson. Et il souligne que ce procédé qui est le processus même de la psychose reste un mystère pour la raison.


ESSAI

-      La Nef des fous de Sébastien Brant
Il faut lire ce texte comme une critique de la folie des hommes qui se croient raisonnables, de ceux-la mêmes donc qui pensent fous ceux qui ne parlent pas leur langue. Un livre qui peut se lire dans tous les sens. Il dresse pour nous un tableau clinique de la folie de nos semblables et il peut être lu en ce sens comme un véritable traité d’antipsychiatrie.

-      Kierkegaard et la philosophie existentielle de Léon Chestov
J’ai retenu de ce texte la notion de « saut ». Oui, un philosophe peut être jugé à son saut. À la distance qu’il franchit en tentant de traverser la folie des hommes et cela pour se donner une chance de penser raisonnablement. Mais la folie reste encore la meilleure arme pour lutter contre la folie. Oui, perdre la raison, c’est peut-être bien là la seule façon de se doter d’une raison véritable.

-      Le philosophe-artiste de Jean-Noël Vuarnet
On est soit philosophe soit artiste. Et pourtant il semble exister des individus doubles qu’on est donc conduits à nommer philosophes-artistes. On en trouve la trace tout au long de l’histoire. C’est que les liens qui existent entre la création artistique et la pensée philosophique peuvent parfois se révéler étranges. Pensons ici aux libertins. Philosopher en créant et créer en philosophant, n’est-ce pas là la seule façon de s’en prendre véritablement à Dieu ?

-      La tour de Babil de Michel Pierssens
Un texte qui permet d’élargir la notion de fou littéraire en proposant celle de logophile. L’auteur parvient ainsi à mettre en relation des textes aussi différents que ceux de Mallarmé, Saussure, Brisset, Roussel ou Wolson. Tous touchent à la linguistique, à la littérature et à la psychose mais chacun d’entre eux d’une façon bien spécifique.

-      Le Grand Jeu de Michel Random
Un livre qui peut servir d’introduction à l’aventure poétique du Grand Jeu. Ces poètes ont tenté de régénérer la poésie en prenant le risque de la folie volontaire et de l’expérience des gouffres. Une leçon de vie pour nous rappeler que le poète, s’il veut parvenir à faire dire quelque chose à la langue, doit accepter de se laisser tordre socialement par elle. Ça n’est jamais en effet qu’en affrontant les mots c’est-à-dire qu’en prenant le risque d’être torturé par la langue qu’on peut espérer se doter d’une voix authentique.

-       À la recherche de Ferdinand de Saussure de Michel Arrivé
Michel Arrivé nous introduit à la pensée du philologue et il y parvient avec des mots simples. Il aborde notamment la question des anagrammes. Il existe sur ce point un rapport entre la recherche du savant et celle du fou littéraire. Le poète peut donc trouver un intérêt à lire ce livre en y découvrant des recettes d’alchimie verbale.

-      La Cécité d’Homère de Pierre Bergounioux
Homère était aveugle et pourtant il a su chanter avec une précision extrême le monde. C’est qu’il ne faut pas être engagé dans la situation pour avoir une chance de s’en faire une représentation. D’où le fait que les artistes sont presque toujours des parias, des maladifs et que c’est de cela même qu’ils tirent leur capacité à penser sensiblement

-      Le cimetière de la morale de Roland Jaccard
Une série de portraits d’auteurs ayant eu affaire, d’une façon ou d’une autre, avec l’expérience de la folie. J’ai découvert en lisant ce livre bien des auteurs qui depuis m’absorbent. Je ne citerai ici que le nom de Francis Giauque. Un livre donc utile pour tous ceux qui veulent être mis sur la piste de nouvelles œuvres.


LITTÉRATURE


-     Un scandale au couvent d’Oskar Panizza
Voilà un homme qui traite de la folie dans une clinique véritablement poétique. Il la traite extérieurement, médicalement et en même temps on sent que tout ce travail est animé par une lumière intérieure liée à une expérience véritablement vécue de cette pathologie. Panizza a bien commencé sa carrière en aliéniste. Et il l’a bien fini en aliéné.

-     Tonio Kröger de Thomas Mann
L’artiste est toujours un être nécessairement maladif. Et ce dont il souffre, c’est d’être mis à l’écart des autres, d’être rejeté par les autres pour son incapacité à être un être de séduction. Il donnerait tout pour en être un et pourtant il sait que son pouvoir de vérité, il le tient d’avoir à souffrir d’être ainsi rejeté par les êtres de séduction.

-      Moravagine de Blaise Cendrars
Je me suis surtout intéressé à la structure du livre. La relation entre un fou, Moravagine, et son médecin nous entraîne dans toutes sortes d’aventures mais l’intérêt principal du texte reste pour moi dans la fascination qu’exerce Moravagine sur son médecin. Le pacte qui les lie l’un à l’autre est une belle leçon de vie. Tous les psychiatres devraient pouvoir s’en inspirer.

-      Le Neveu de Wittgenstein de Thomas Bernhard
Un livre court dans le bon sens du terme. Le double de Wittgenstein pourrait bien être un idiot « véritable ». Wittgenstein nous apparaît du même coup comme un homme qui toute sa vie a lutté contre l’idiotie. Comme un homme qui s’est refusé le droit d’être idiot et de penser son idiotie et qui a fondé sur cette interdiction toute son existence.

-      Mars de Fritz Zorn 
L’homme sait qu’il n’a que peu de chance de survivre à son cancer. Il sait aussi qu’il a toujours été profondément malheureux même si en apparence tout tendrait à prouver le contraire. Il n’a donc rien à perdre à tout dire. Et la violence avec laquelle il s’en prend à lui-même en faisant l’effort de la plus absolue sincérité fait surgir la vérité de son texte. Mais cette vérité ne viendrait-elle pas alimenter un certain discours des êtres de séduction ?

-      Je, François Villon de Jean Teulé
Je n’ai jamais réussi à lire la poésie de François Villon dans le texte. Je trouvais cela trop littéraire. C’est qu’il me manquait des clefs pour détruire ma lecture culturelle des textes du poète. Ce livre m’a donc réconcilié avec Villon. J’ai eu le sentiment d’être mis humainement en relation avec lui. De sentir tout ce qu’il y avait de profondément humain dans son aventure poétique.​​​​​​​
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