Exposé sur les fous littéraires.

Il s'agit d'un exposé sur les fous littéraires que j'ai présenté devant les autres stagiaires dans le cadre de mon stage au centre Alexandre Dumas
Extrait :


CONCLUSION
A : LE CAS DU FOU LITTÉRAIRE NE PEUT-IL PAS ÊTRE INTÉGRÉ DANS UN CAS PLUS GÉNÉRAL ?

Littérature classique : littérature du dominant. Celle dont l’étude permet d’accéder à des hautes positions sociales.
Exemple : cours de littérature en khâgne S. On forme les hauts fonctionnaires (futurs énarques) en leur donnant quelques bases culturelles.
On leur parle de Madame Bovary de Flaubert.
Mais cette littérature classique, avant d’être devenue classique, était une œuvre d’avant-garde : on a fait un procès à Flaubert pour son livre Madame Bovary. De la même façon pour les Fleurs du Mal de Baudelaire : tous deux accusés de diffuser mauvaises mœurs (atteinte à la morale).
Ainsi scène dans Madame Bovary où Emma roule dans l’herbe. Et son amant n’est pas loin. Pourtant certains écrivains n’ont pas perdu cette relation avec littérature classique.
Ainsi livre de Pierre Bergounioux sur Flaubert : La Cécité d’Homère. Distinction entre situation et représentation : l’artiste est celui qui voit et qui donc peut nous faire accéder à une autre représentation du monde et cela parce qu’il n’est pas dans la situation d’être engagé dans le monde mais au contraire en retrait, souvent handicapé, faible.
Pierre Bergounioux donne exemples.
Homère : aveugle.
Cervantès : manchot.
Proust : homosexuel.
Ainsi les artistes se recrutent parmi les classes dominantes mais des gens d’un type bien particuliers : des faibles, des dépressifs, des maladifs.
Il s’agit ici de parler d’une autre façon de la folie.
En parler dans un sens plus large. C’est parce qu’on est exclu du monde qu’on écrit.
On peut être exclu parce qu’on est comme Artaud un aliéné, qu’on a donc directement affaire à une folie clinique.
Mais être aveugle, être manchot, être homosexuel. D’autres façons d’être exclu. D’autres raisons donc d’écrire.
Ainsi le fou littéraire : cas spécifique qui doit être étudié non comme le Cas mais comme un cas s’intégrant dans le Grand Cas : celui de tous les maladifs, de tous les exclus, de tous les donc sensitifs. Et véritablement hommes pour cela.
J’aurais pu parler de Kafka, de Rodansky, de Francis Giauque, de Roger Gilbert-Lecomte, d’Ivan Chtcheglov, etc.
Oui, être exclu du monde social, que ce soit parce qu’on est fou, ou aveugle, ou manchot, ou homosexuel ou plein d’autres choses encore, c’est là bien la seule chose qui puisse amener un homme à devenir artiste. Écrivain par exemple.
C’est qu’il y a la poésie, la vraie et les professionnelles de l’arnaque littéraire, les populistes, les experts en communication.
Tous les donc par excellence non poètes.
Il y a d’un côté la littérature, la vraie et de l’autre, des millions de livres qui ne seront jamais au mieux que des livres sur des livres.
C’est-à-dire voués à la disparition.
Ce sont peut-être ceux-là mêmes, je veux dire tous ces auteurs de profils, de Que sais-je, d’articles savants sur la littérature du 17ième siècle, cette énorme masse donc d’ « écrivants » (et non d’écrivains pour reprendre la fameuse distinction de Roland Barthes) qui sont les véritables fous littéraires (sens négatif).

B : LA CLEF DU MYSTÈRE OU LA NÉCESSAIRE DISTINCTION ENTRE LE FOU LITTÉRAIRE ET LE POÈTE.

Au fond facilité avec folie : on est exercé au fait de vivre la langue non comme un moyen de communication mais au contraire comme quelque chose qui nous aliène au monde et donc qui nous ensorcelle en nous faisant prendre le monde pour autre chose que ce qu’il est.
Le fou littéraire, parce que la langue est quelque chose qui le fait souffrir – c’est là le propre de la maladie mentale et cela a surtout était compris à partir de la relecture de Freud par Lacan (autre grand lecteur de Ferdinand de Saussure) –,  comprend cela intuitivement, par expérience je veux dire, et non théoriquement.
C’est pourquoi il y a une spécificité de la folie littéraire dans la question de la littérature.
Oui, ce qui est bien en question dans la vraie littérature, c’est bien toujours que la langue est bien ce contre quoi on doit lutter et non un instrument de communication comme veulent nous le faire croire tous ceux qui écrivent des livres sur les livres.
Wittgenstein, autre intellectuel ayant eu affaire à une forme de folie positive, parle dans toute son œuvre de ce caractère aliénant de la langue.
Le Tractatus Logico-Philosophicus : sa seule œuvre publiée de son vivant.
Et la dernière phrase de cette œuvre : « Ce dont on ne peut pas parler, il faut le taire ».
Tout ce qu’on peut dire : la logique. Les propositions de la logique trace la limite. De l’autre côté, il y a l’indicible. Le mystère du monde. Ce dont nous parlent les poètes notamment. Et parce qu’eux, ils se donnent le droit de se faire ensorceler par la langue. Parce que donc ils se donnent le droit de vivre la langue comme autre chose qu’un simple outil de communication.
Ce silence, ça n’est rien d’autre que le silence même que les fous littéraires tentent d’affronter.
Comme les artistes. Mais je crois que les fous littéraires le font avec le sentiment qu’ils possèdent la clef du mystère. Avec l’idée donc qu’ils sont parvenus à vaincre ce silence. Et c’est pourquoi ils veulent avec tant d’obstination livrer leur clef du mystère aux autres.
C’est bien là la spécificité du fou littéraire. Ce qui donc le distingue du poète. Le poète, lui, sait qu’il n’y a pas de solution. Qu’on ne peut pas trouver la clef du mystère. Que donc jamais on ne pourra vaincre ce silence.
La solution qu’ils nous livrent, eux, les poètes, c’est donc qu’il n’y a pas de solution au problème. Et c’est pour eux la solution même au problème, cette tentative de démontrer qu’il ne peut pas y avoir de solution.
Qu’il est donc vain de tenter de le résoudre.
Oui, c’est bien là en dernier lieu ce qui distingue le poète du fou littéraire.
C’est pourquoi, Wittgenstein, philosophe pratiquant en poète la philosophie, est lui du côté de la poésie et de la vraie. Et que donc il ne peut être en aucun cas tenu pour un fou littéraire. Et cela même si la plupart des « faux fous littéraires de notre époque » s’inspirent souvent de son œuvre, allant même pour certains jusqu’à trouver dans son œuvre la clef du mystère…
N’est-ce pas là la vraie « fausse folie littéraire », je veux dire cette incapacité de ces écrivains à ne savoir qu’écrire des livres sur des livres. Et cela en se réclamant d’eux.

C : SORTIR VAINQUEUR DES GRIFFES DE LA FOLIE !

Une ultime précision.
Être fou : ça peut apporter quelque chose. Mais cela n’est en aucun cas déterminant.
Ainsi combien de fous ne sont même pas parvenus à devenir des fous littéraires. Et Artaud et Lautréamont ont peu de frères en regard au nombre de fous littéraires.
Ainsi, s’il y a une nécessité à ce qu’Homère soit aveugle, il y a aussi une nécessité à ce que la plupart des aveugles ne soient pas en mesure de devenir des Homère.
Oui, être fou, être aveugle, c’est bien en premier lieu handicapant. Destructif.
Peu nombreux sont donc ceux qui arrivent à positiver de tels handicaps. Mais ceux qui y parviennent, ces quelques « happy few » pour reprendre l’expression de Stendhal, deviennent presque à coup sûr de grands écrivains tant est destructeur l’ouragan auquel ils résistent. Oui, sortir vainqueur des griffes de la folie est une telle prouesse que ceux qui y parviennent ne peuvent que laisser derrière eux des témoignages aussi bouleversants que riches en visions.
Voir ici le texte de Stephan Zweig, Le joueur d’échec : vaincre la folie et ce en luttant contre elle à l’aide des échecs, cela à coup sûr fait de nous un excellent joueur. Voire un joueur capable de mettre échec et mat le champion du monde.
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