J'ai obtenu le prix Paul Louis Weiller de sculpture en 2009. Il s'agit du prix de l'académie des Beaux-Arts.
Je donne à lire ici la lettre que j'ai adressée aux académiciens pour l'obtention de ce prix.
Orsay, le 7 juin 2009

Mesdames, Messieurs,



Je développe depuis 1998 un travail artistique autour du thème de l’idiotie et je suis diplômé de l’école des Beaux Arts de Paris depuis 2005. Ce travail m’a amené à réaliser des peintures, des sculptures, des installations et des vidéos. Je mène aussi parallèlement un travail d’écriture de nature essentiellement poétique. J’ai produit à ce jour une vingtaine de textes dont l’un, le Traité d’idiotphysique, a été publié en 2008 aux éditions La Cinquième Roue.
J’ai développé cette réflexion plastique et littéraire sur l’idiotie à la suite d’une grave dépression nerveuse avec symptômes psychotiques. Celle-ci aurait pu m’amener à me désengager totalement du monde social en me forçant à me retrancher sur moi-même. Mais la pratique des arts plastiques et de l’écriture m’a permis de surmonter ma maladie. Plus encore, mon œuvre artistique se nourrit d’une réflexion autour de ma maladie. Je travaille en effet sur l’idiotie à partir d’une approche reposant sur l’analyse de ce que l’on nomme maladie mentale (je me réfère en ce sens à l’œuvre d’Antonin Artaud).
C’est pourquoi je crois pouvoir dire que ce travail m’a permis de surmonter mon handicap, qui m’a valu d’être reconnu depuis août 2008 travailleur handicapé.Vous comprendrez donc pourquoi je me permets de soumettre mon travail à votre attention dans le cadre du prix Paul Louis Weiller. Le fait d’être atteint d’une maladie mentale mais aussi d’avoir à me vivre tel, c’est-à-dire « idiot », s’est traduit chez moi par une forte culpabilité tant dans mon rapport à l’autre qu’à moi-même. Cela a généré une souffrance morale qui m’a fortement handicapé et contre laquelle la pratique de l’art s’est révélée le seul véritable remède. Par le seul fait qu’elles m’ont permis de me définir artiste, les œuvres que je présente ici m’ont aidé à lutter contre le jugement dont j’ai fait l’objet du fait que j’ai eu à me définir comme étant atteint d’une maladie psychique.
Mais parce qu’elles sont plus précisément issues d’un travail sur la nature de ma maladie, elles m’ont aussi permis de surmonter mon handicap moral en me montrant qu’on peut tirer profit de la maladie mentale en l’explorant et ce parce que l’on a ainsi accès à un point de vue singulier, qui, lorsqu’on le développe plastiquement, nous constitue en dépositaire d’une vision originale du monde (l’idiotphysique est la science de cette vision). L’une des sculptures que je vous présente ici, la sculpture intitulée « l’espace de l’idiotie n°2 » (photo n°1), donne ainsi à voir l’espace propre au monde de celui qui s’affirme idiot, c’est-à-dire être avant tout irréductiblement singulier. Cette sculpture tente bien, en dernier lieu, de susciter chez le public un « je suis idiot », c’est-à-dire cette parole même que l’on doit faire sienne lorsque l’on a à se constituer atteint d’une maladie mentale. Cette inversion du jugement – le « je suis idiot » devenant un « non, c’est nous qui sommes idiots » – traduit bien cette possibilité qui nous est offerte de surmonter notre handicap en traduisant esthétiquement le « je suis idiot » que l’on a à faire sien. Ou pour dire les choses autrement : c’est en cherchant à faire l’œuvre la plus idiote possible qu’on peut se donner une chance de faire une œuvre qui ne soit plus idiote. Qui ne soit donc plus l’œuvre d’un idiot. Donc l’œuvre d’un artiste.
Les autres pièces que je présente ici jouent de la même façon sur cette possible inversion du « je suis idiot » : l’utilisation du miroir, de l’équation en cercle tournant indéfiniment sur elle-même et du verre sablé, permettant de lire de façon inversée le code, sont autant d’instruments rendant possible cette inversion du jugement.
La sculpture « l’espace de l’idiotie n°2 » a pu être vue par un large public à la galerie Weiller lors d’une exposition personnelle en juin 2006. Elle a aussi été exposée, avec, entre autres, la pièce intitulée « l’équation de la névrose et ses satellites » (voir photo n° 6 et 7), lors du passage à l’ENSBA de mon diplôme de fin d’étude qui m’a valu les félicitations du jury.
Ces deux œuvres, ainsi que les quatre autres pièces (l’équation du corps, de la langue, de l’idiotie et l’équation vrai-faux), sont construites à l’aide de ce que je nomme des équations de logique idiote. Elles s’inscrivent donc directement dans le système de logique, système lié à une physique de l’idiotie, que je cherche à développer poétiquement dans mes textes. Vision esthétique et vision poétique (ou théorique) sont ainsi toujours intimement liées dans l’ensemble de mon travail mais ce lien est, je crois, plus particulièrement visible dans les pièces que je me permets de soumettre à votre attention.


En espérant que ce dossier ne vous laissera pas indifférent, je vous adresse, Mesdames, Messieurs, l’assurance de mes sentiments les plus respectueux.



Je donne à voir ici des photos qui ont été prises lors de cette séance annuelle de l'académie des Beaux-Arts.
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